Concilier le diagnostic de performance énergétique et le bâti ancien

La rénovation thermique du bâti est aujourd’hui organisée et mise en œuvre principalement par les bureaux d’étude thermique. Or, ces BET fondent leurs analyses et leurs prescriptions essentiellement sur des logiciels conçus pour du bâti neuf ou contemporain.

L’ANABF et les ABF
L’Association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF) est une association professionnelle regroupant les cent quatre-vingt architectes des bâtiments de France (ABF) et d’autres professionnels du patrimoine, de l’architecture et de l’urbanisme.

Les ABF font partie du corps des architectes et urbanistes de l’État (AUE), corps interministériel relevant du ministère de la Culture et du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

Les ABF travaillent dans les Unités départementales de l’architecture et du patrimoine (UDAP), au sein des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), services déconcentrés du ministère de la Culture.

Les espaces patrimoniaux couvrent 6% du territoire national.
Dans ces espaces, les ABF assurent :
-le conseil sur tout projet neuf et sur existant, aux échelles architecturale, urbaine et paysagère. Dans ce cadre, ils promeuvent la qualité architecturale et celle du cadre de vie ;
-le contrôle des demandes d’autorisation du droit des sols, afin d’assurer l’insertion harmonieuse des projets dans les espaces patrimoniaux (cinq cent soixante-quinze mille en 2021) ; et le contrôle scientifique et technique sur nos quarante-quatre mille monuments historiques, en collaboration avec la conservation régionale des monuments historiques (CRMH) ;
-la conservation des monuments historiques appartenant à l’État et affectés au ministère de la Culture, dont ils peuvent être nommés responsable unique de sécurité, notamment les quatre-vingt-neuf cathédrales.1

Pourquoi cette fiche ?

L’objectif premier reste de faire rentrer les bâtiments étudiés dans la meilleure catégorie du document technique unifié (DTU) tel qu’il est défini aujourd’hui. Ce DTU et ces logiciels ne différencient pas dans leurs calculs les maçonneries anciennes en pierre et à la chaux, des maçonneries en parpaing et en béton. L’épaisseur des maçonneries et leur densité ne sont pas différenciées d’une simple épaisseur de vingt centimètres de parpaing. Pourtant les performances thermiques sont très différentes et leurs comportements également. Les maçonneries en pierre et chaux (souvent de plus de cinquante centimètres) offrent une grande inertie et fonctionnent sur un principe de perspiration permettant d’évacuer l’humidité inhérente à ce type de construction vers l’extérieure (partie non chauffée). Les maçonneries d’après-guerre en béton ou parpaing sont quant à elle prévues pour être étanches. Elles ont peu d’inertie, ce qui permet un chauffage rapide mais également un refroidissement rapide.

Dans les constructions traditionnelles, la ventilation se fait naturellement en interne, par l’organisation des volumes (avec la présence de zones tampons), par les matériaux respirants utilisés (bois, chaux, terre cuite…), mais également par la respiration des maçonneries. Les architectures plus contemporaines ont un renouvellement organisé par des ventilations spécifiques le plus souvent mécaniques (VMC).

Cette absence de différenciation dans le diagnostic et dans les prescriptions pose un certain nombre de problèmes dont le principal concerne les maçonneries. L’inertie du bati ancien et sa ventilation naturelle n’étant pas pris en compte, les BET proposent systématiquement un renforcement de cette inertie des maçonneries et la mise en œuvre d’une VMC. Ce premier dispositif souvent inutile vient dans la plupart du temps bloquer l’eau dans les maçonneries par les par-vapeur utilisés dans la plupart des mises en œuvre prescrites. Il est alors proposé une VMC comme compensation qui n’était jusqu’à présent pas nécessaire. Ces mises en œuvre ne sont pas sans poser un certain nombre de problèmes dans le bâti ancien.2

Concilier la préservation et la mise en valeur du patrimoine aves les objectifs de rénovation thermique

Les enjeux d’après l’ANABF

Face à l’urgence climatique, savoir raison garder

Cette pratique qui se généralise depuis quelques mois se développe à grande vitesse. Les conséquences d’une telle pratique qui se généraliserait pourrait avoir des conséquences à plusieurs échelles :

  • La consommation de ressources : Ce fonctionnement d’isolation systématique des murs et de pose de ventilation mécanisée alors même que le bâti ancien comporte, dans un grand nombre de cas, de grande qualité d’inertie, notamment en confort d’été, se justifie par les professionnels d‘avantage par la recherche de la classification au DPE que par la recherche de confort des habitants. Cette pratique va à l’encontre de la sobriété en venant consommer d’important volumes de matériaux de construction inutilement mais aussi d’importants fonds privés et publiques. Par ailleurs la salubrité des intérieurs devient dépendant d’un système de ventilation alimenté en électricité alors même que celui-ci se faisait naturellement.
  • Le risque de dégradation accéléré du parc immobilier ancien : bloquer les échanges de vapeur d’eau des maçonneries anciennes entrainent inévitablement à moyen ou à long terme leurs désorganisations et dégradations internes par le pourrissement des pierres tendres et la dissolution des mortiers. Ces pratiques généralisées vont engager un processus de dégradation dans le meilleur des cas et, dans le pire, accélérer une dégradation déjà en cours. Cette dégradation sur des structures bois peut être très rapide avec le développement de champignons. Cela pourrait aboutir à la perte d’une partie importante du petit patrimoine et à l’insalubrité de quartiers anciens. Par ailleurs, le doublage des structures masque les signes avant-coureur des détériorations des structures maçonnées ce qui entrave la prévention des risques d’effondrements.
  • La dégradation du cadre de vie : cette pratique de doublage des maçonneries par l’extérieur s’est d’ores et déjà développée pour l’instant dans une moindre mesure dans les espaces non protégés au titre du patrimoine. Un premier constat de ces pratiques nous donne l’aperçu d’un appauvrissement de l’architecture et de l’urbanisme au profit de mise en œuvre rapide et peu coûteuse. Ces résultats transforment ces architectures locales en produit manufacturés de qualité discutable et d’aspect uniforme d’un bout à l’autre de l’hexagone. Le territoire français connu pour la qualité et pour la diversité de son patrimoine bâti est aujourd’hui menacé par la banalisation du bâti ancien. Le risque est de faire mûter ces architectures anciennes, dans le meilleur des cas, en maisons de lotissement et immeubles contemporains (architectures pour lesquelles nos voisins suisses ou allemands ont une production architecturale bien supérieure à la nôtre), dans le pire des cas, vers une architecture de bâti préfabriqué très comparable aux mobil-homes néo-régionaux. Il s’agit ici d’un risque de perte culturelle, touristique (les villages français sont les monuments les plus visités de France) mais également la perte du cadre de vie et de ce fait de l’attractivité de certains territoires amenés à muter plus rapidement que d’autres.
  • La disparition de certains métiers du patrimoine : Ces mises en œuvre sont la plupart du temps réalisé par des artisans peu qualifiés car la réalisation de ces isolations à petite échelle est assez simple. Les risques, au-delà d’un grand nombre de malfaçons est celui de la perte des savoir-faire par le très grand développement probable de ces pratiques moins difficiles techniquement et physiquement. Par ailleurs, ces pratiques proportionnellement plus rentables, car exécutées par une main d’œuvre moins qualifiée, propose un risque réduit pour les entreprises par rapport à la réalisation d’un enduit traditionnel ou d’une réfection de façade en pierre ou en pans de bois.

Par ailleurs si un grand nombre de façades anciennes sont doublées, ce sera autant de marchés en moins pour les artisans faisant des enduits à la chaux, des tailleurs de pierres travaillant sur les façades, encadrement de baies, corniques, les charpentiers pour les façades bois…. Les menuisiers sont également menacés car les volets bois sont la plupart du temps trop lourd pour être fixés sur des isolations par l’extérieur.

Pour autant, la loi telle qu’elle est écrite permet un certain nombre d’adaptations au bâti ancien notamment le décret du 8 avril 2022. Toutefois, afin d’éviter ces risques énoncés et d’en permettre une application plus claire et plus ciblée, un certain nombre de précisions permettraient de valoriser les qualités thermiques du bâti ancien, d’en garantir la préservation structurelle et mais également d’en conserver la cohérence architecturale.

Le patrimoine : issu des territoires, contribue à leur identité, porteuse de cohésion sociale

Le patrimoine : une ressource non renouvelable

Accompagner la réhabilitation thermique, pour que les travaux d’aujourd’hui ne deviennent pas les problèmes de demain

Notre patrimoine est un tremplin pour l’avenir

Les objectifs d’après l’ANABF

Harmonisation du cas par cas, mise en place de DPE-patrimoine, formation des diagnostiqueurs

Pour cela, la mise en œuvre d’un DPE patrimonial dont le système de calcul prendrait en compte les qualités thermiques des structures et des matériaux traditionnels, leur fonctionnement hydrique mais également une approche plus globale intégrant l’interaction entre le bâti traditionnel et son environnement.

Devraient être éligibles aux subventions prévues par le fond travaux, les actions visant à rétablir un fonctionnement hydrique cohérent dans les structures maçonnées afin de permettre une bonne circulation de la vapeur d’eau et ainsi une meilleure inertie, mais également toute action visant à exploiter les qualités thermiques du bâti ancien. L’objectif serait de rendre éligible aux subventions prévues, la réparation du bâti ancien visant la valorisation de ses qualités thermiques plutôt que l’encapsulation de ces architectures.

Ces mesures auraient pour conséquence une amélioration thermique plus efficace mais permettrait également un développement vertueux en matière de patrimoine et de cadre de vie à grande échelle :

  • Ce chantier national sur la rénovation thermique axé sur la réparation permettrait une valorisation importante du bâti ancien avec une faible empreinte environnementale. Cette réparation et revalorisation de ce parc permettrait également de développer son attractivité et encourager une réhabilitation à plus grande échelle. Cette approche va notamment dans le sens de la densification et répond entre autres aux objectifs de la ZAN.
  • Une rénovation thermique dans ce sens passera par la restauration traditionnelle des façades, c’est-à-dire la réparation et non la réfection à neuf et l’utilisation de matières géo sourcées et bio sourcées (enduits à la chaux, bois, sable et pierre, terre…) dont le bilan environnemental serait particulièrement vertueux. Par ailleurs, les conséquences architecturales à grande échelle auraient des conséquences proches de celles observées dans les PSMV avec des leviers fiscaux et des conséquences sur le bâti dans une certaine mesure, très comparables, la règlementation en moins. La valorisation du territoire à grande échelle aurait d’importantes retombées sur le cadre de vie, l’attractivité des territoires mais également sur une plus grande mise en valeur des cultures locales et un développement du tourisme national.
  • Ces pratiques permettraient également un renouvellement et une valorisation à grande échelle des métiers du patrimoine, de l’artisanat local. Cela permettrait également de valoriser les liens naturels existants entre ces métiers du patrimoine et la rénovation thermique auprès des artisans souvent mal connu. Cela permettrait une nouvelle attractivité de ces métiers et le développement d’un artisanat orienté vers de nouvelles pratiques et très certainement amènerait à la création de nouveaux métiers.

Pour une démarche analytique, afin d’harmoniser le cas par cas
Former pour réussir la réhabilitation thermique
Créer un DPE-patrimoine
Subventionner la réhabilitation thermique du patrimoine.

L’engagement de l’ANABF
https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/
https://www.cerema.fr/fr
https://www.architectes.org/dossier-renovation-energetique
https://www.effinergie.org/web/les-labels-effinergie/le-label-effinergie-patrimoine

Ces mesures, DPE Patrimoine et ses subventions adaptées, s’inscriraient en cohérence avec la loi et ce qui y est déjà inscrit. En effet, le décret du 8 Avril 2022 précise que des exceptions sont prévues notamment pour des rénovations qui « feraient courir un risque de pathologie du bâti, affectant notamment les structures ou le clos couvert du bâtiment. Ce risque est justifié par une note argumentée rédigée par un homme de l’art, sous sa responsabilité » et qui « entraîneraient des modifications de l’état des parties extérieures ou des éléments d’architecture et de décoration de la construction, en contradiction avec les règles et prescriptions prévues [ dans les espaces protégé et les PLU] ».

Cependant, la mise en application de ces mesures est aujourd’hui difficile et l’avenir de la mise en œuvre de celle-ci dépend de la jurisprudence qui sera produite. Enfin, ces exceptions n’ouvrent pour autant aucune subvention ou défiscalisation.

Ainsi, l’incertitude de son application et l’absence de levier incitatif rend complexe l’application de ces mesures en l’état et encourage très largement les propriétaires bailleurs à se tourner vers l’isolation la moins compliquée et la plus garantie du point de vue des sanctions prévues pour les mauvais classements du DPE ainsi que des subventions. Ces adaptations auraient le mérite de clarifier la loi et réduire les risques énoncés plus haut mais également d’en permettre une mise en œuvre de la rénovation thermique la plus rapide et plus fluide en évitant les contradictions qui existent entre les règlements des sites patrimoniaux et de certains PLU patrimoniaux d’ores et déjà applicables, ainsi que des préconisations produites par les UDAP en espaces protégés. Cela permettrait ainsi également de remplir plus efficacement les engagements de rénovation des cinq cent mille logements par an. Le bâti ancien représente en effet près d’un tiers du parc national.

Extensions des subventions, concertation

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